William et Nelly

Rue Pierce, centre-ville, Mtl

Petite maisonnette

À portes jumelles

Au cœur de la ville

Façade anglo-écossaise

En pierre couleur sable

Corniches, fronton

D’une même teinte délavée

Par les ans et la pluie

Sans négliger du regard

L’ardoise gris souris

Plutôt à la française

Le toit plat, innovation victorienne

Mur latéral en briques brunes

Nulle place pour jardinet

Le charbon livré autrefois

À l’arrière

Ou bien par le portillon anthracite

Sur le côté

Imaginons un pianiste

Prénommé William

Ayant pour voisine une écrivaine

Baptisée Nelly

Se souriant parfois

Et s’invitant rarement

Pour le thé,

Celui de 5 heures

Ou pour un verre de xérès

En soirée

Était-ce la gêne ou par souci

Des convenances,

Frein à l’expression d’une passion

Que l’on percevait

Certains soirs

Où William jouait Brahms ou Chopin

Où Nelly déclamait sa poésie

Fenêtre ouverte

Par la joie secrète du pianiste

Depuis le piano s’est tu

Les partitions ont jauni

Dans l’armoire d’un cousin amnésique

Les livres ont terminé

Leurs courses

J’ose l’espérer

En un quelconque fonds d’archives

Et non pas consumer

Dans l’âtre du salon

Par un nouveau propriétaire

Épris de déco contemporaine

Ayant envoyé valser

Les charmes vieillots d’hier

Comme seule évasion maintenant,

Un immeuble à paroi de verre

Où se mire le ciel

Pierre tombale moderne

Pour oiseaux désorientés

Par les rumeurs de l’été.

 

© Photo, texte, Denis Morin, 2020

Des cornets de gramophone

Rose trémière jaune

Il y des fleurs comme ça

Qui vous figent en mémoire

L’enfance aux trousses

Lilas, glaïeul, rose trémière

Pour cette dernière

J’en cultive des jaunes

Et des noires

Qui bouffent la lumière

Et cultivent le mystère

Cette beauté gracile

Ne se mesure pas à l’aune

Avec ces corolles

En cornets de gramophone

Ce sont des airs anciens

Que l’on croit entendre

Et que l’on méprend

Avec J’ai deux amours

Et J’attendrai.

 

© Photo, texte, Denis Morin, 2020

 

 

Sotto voce

Tulipe1

Les fleurs dorment toujours

Sous la neige

Tu l’as toujours su

Et moi, j’ai toujours nié

Que les bourgeons d’avril

Les fleurs de mai

Sont engourdis

Au creux des arbres

Au creux de ton cœur

Ça, tu l’as toujours su

 

Les fleurs dorment toujours

Sous la neige

Au piano, fais-moi un arpège

J’aurai l’évidence

Je me tairai

J’avouerai

Que tu as raison

Une fois de plus

De ressentir la musique

Et la vie sous une apparente mort

 

Les fleurs dorment toujours

Sous la neige

Tu me parles de la poudrerie

Qui soulève les flocons

Je t’écouterai

Je retiendrai tes paroles

Quand tu me déclares

Sotto voce

Che i fiori dormono sempre

Sotto la neve.

 

 

© Photo, texte, Denis Morin, 2020

 

 

 

 

 

Les tables muettes

CaféCherrier-2

Café Cherrier

Miroitement d’une fête

Pourtant

Il a si peu la tête

À célébrer

Il en va ainsi

À chaque année

Cela remonte

À son enfance

Cela remonte

À son errance

 

Café Cherrier

Où s’entrechoquent

Les verres

Des artistes

Des mondains

Des p’tits bourgeois

Qui veulent être vus

 

Mais il faisait froid

Ce soir-là

Les lieux étaient déserts

Seuls quelques badauds

S’émerveillaient

Des lumières

Et des reflets colorés

Sur les tables muettes.

 

© Photo, texte, Denis Morin, 2019

Oblivion

J’irai au bout

De la rue

De ta vue

De moi-même

Des aveux freinés

À la frontière de mes lèvres

Endormies

Endolories

Effrayées

De dire l’inavouable,

L’inexcusable,

L’émouvant,

Le beau

Comme si les mots

Ne suffisaient pas

À décrire

Les choses,

Les sentiments,

Les moments,

Le silence,

Comme si ce tango

De Piazzolla,

Oblivion,

Archets glissant sur les cordes d’un violoncelle

Et des altos, des violons,

Cet oubli-néant musical,

Révélait

Ma mélancolie constante.

 

© Texte, Denis Morin, 2019

Ne pas, ne plus…

Ne pas…

Médire, il/elle est parti.e

Trop cuire le rôti

Saisir ce vase

Juste l’idée de le fracasser

 

Plutôt

Attraper la clarté

Si discrète en octobre

L’hiver viendra trop vite

Dis-tu / Disais-tu

Je ne sais plus

Où nous en sommes / où nous en étions

 

L’écho des disparus

Frappe ma mémoire

Ne plus (s’)échapper

Comme un visage estompé

Ne pas oublier

Oui, polir l’argenterie

Relire les lettres

De nos amours (in)fidèles.

 

© Texte, Denis Morin, 2019

Adagio

Une recette

Me ramène les âmes errantes

Les esprits qui se promènent

À contre-jour

Dans ma mémoire

Un aimait le sucré

Une plutôt le salé

Moi, l’amer

 

Une chanson

Me ramène les voix anciennes

Qui fredonnaient

Près d’un berceau

Ou à la cuisine

C’est toujours une pointe

D’amour

Qui m’envahit

 

Un livre

Ouvert

En pleine nuit

J’entends la voix

De l’écrivain

Peinant

À me livrer

Ses confidences, son mal/sa joie de vivre.

 

 

© Texte, Denis Morin, 2019

Enseigne et ecstasy

Archambault

L’immeuble art déco

A connu ses heures de gloire

On y achetait des partitions

Pour piano classique

Mais aussi des guitares électriques

Les 33-tours en vinyle

Ont laissé place

Aux disques compacts

À l’heure des réseaux sociaux

On écoute des extraits

Au magasin avec un casque

On se dandine

On rêve

On s’évade

Prière de ne pas déranger

Chacun dans sa bulle

L’enseigne délogée

A été de nouveau hissée

On ne peut pas toujours

Reléguer aux oubliettes

Le patrimoine

Vaut plus qu’un rave

Et le mirage de l’ecstasy.

 

© Photo, texte, Denis Morin, 2019

 

 

La maison ancienne

Maison ancienne

Cette maison ancienne

Entendit

Des murmures

Des promesses

Tenues ou pas

On ne le saura pas

Des rengaines

Des légendes au coin du feu

Des histoires de farfadets

Des cris de révolte

Le pas des soldats

Vêtus de rouge

Mettant le feu

Au rêve des Patriotes

 

Maintenant,

Retour à l’apparente tranquillité

Politique

Économique

Après deux référendums

Roulement de tambour

Drrrrrrrrruuuuuummmmm !

Que reste-t-il des idéaux,

Des cris de révolte,

Des promesses

Tenues ou pas ?

 

© Photo, texte, Denis Morin, 2019

 

 

 

Le temps fuit

Terrasse

Sous le feuillage

Ton ombrage

À peine perceptible

Pour qui ne te connaît pas

Mais je te sais là

Assis

Comme autrefois

C’est-à-dire hier

 

Sous le feuillage

Je m’assieds

Évitant la morsure vive

De la lumière

Que je laisse aux plantes,

Aux pierres de rivière,

Aux fleurs

 

Sous le feuillage

La vie me semble mirage

De l’aube au crépuscule

De la tombée de la nuit à l’aube

Le temps fuit.

 

© Photo, texte, Denis Morin, 2019

Tout à la fois

Il te reste

Des projets à venir

Il te reste

Ma signature

Une recette de confiture

À la groseille

Je sais,

Non la vie ne sera plus pareille

Tu feras comme si

Je rentrais

Plus tard

Il te reste

Mon regard

Dans les yeux des enfants,

Surtout le plus grand

Qui me ressemble

Tellement

Il te reste

L’immensité des souvenirs

L’intimité du soupir

Et les fougères que j’ai plantées

Au fond du jardin

Pour t’apaiser,

Te consoler du chagrin

Souris

Je te vois

Mais de la pièce d’à côté

Je ne suis et je ne serai

Jamais loin

Souris

Car je t’aime

Je sais,

C’est d’une banalité

Je suis tout à la fois

Chez toi et dans l’au-delà.

 

© Texte, Denis Morin, 2019

Avec ou sans

Avec ou sans

Amertume

Avec ou sans

Nostalgie

Avec ou sans

Ta présence

Avec ou sans

Ton absence

Avec ou sans

Ton errance

Avec ou sans

Nos jours qui défilent

Avec ou sans

Le goût de te revoir

Avec ou sans

La joie de te ravoir

Avec ou sans

Ta voix

Avec ou sans

Le souvenir

Avec ou sans

Poésie

Avec ou sans

Joie

Avec ou sans

Ténèbres

Avec ou sans

Lumières

Pour me rendre

Chez toi.

 

© Texte, Denis Morin, 2019

 

Toujours

Toujours

Se vit dans l’audace

Dans la quête de l’impossible

De l’inaccessible

 

Toujours

Une promesse

Une résolution

À tenir

Surtout devant témoins

Ou en son for intérieur

Pour s’éviter les regrets

Et le sarcasme

 

Toujours

Comme une ambition

Une rime de chanson

Entendue, reconnue

Fredonnée d’hier à aujourd’hui

 

Toujours

Évoque amour

Avec ou sans cérémonie

Porter en son cœur

Le souvenir des êtres

Présents et disparus

 

Toujours

Un mot-velours

Qui défile dans la vie

Comme une habitude

Une certitude

D’être là

À quelques pas

Ou à mille lieues

Tout de même si près.

 

© Texte, Denis Morin, 2019

La ronde des amants

Edith

Qui

Piaffe

D’impatience

Scandent

Ses bras

La (dé)mesure

Au parterre

Le public

En coulisse

Ronde des amants

De Cerdan à Dumont

Il y en eut tellement

J’en oublie…

Manège

Tourne-tête / Tourne-coeur

On chavire

Délire de chanteuse

Amours confinées

Entre un mur et un piano

Montre des adieux

Balancée au caniveau

L’idiot par l’humidité

Novembre transi

La vie en rose

Cauchemardesque

Carnavalesque

Adulation aveugle

« Padam, padam… »

Bal-musette de Paname…

 

© Texte, Denis Morin, 2019

 

Ton piano

Ton souffle parti

Le piano est sorti

De la maison

En présence de tes fils

Tes cendres dorment

Entre tes livres, au salon

Puis d’autres mains

Joueront dès maintenant

Tes partitions,

Chansons de Félix Leclerc,

Partitions de Bach

Après deux ans de deuil

C’est moi qui prépare à présent

Ta soupe saupoudrée de cerfeuil.

 

Sur une rive familière

Sur une rive familière

tu bois ton expresso

je te masse le dos

tu me parles d’aujourd’hui

je pense à demain

 

Il y a longtemps que je t’aime,

Jamais je ne t’oublierai

 

Sur une rive familière

tu esquisses des mots

mes yeux en photo

tu es mon aujourd’hui

je suis ton demain

 

Il y a longtemps que je t’aime,

Jamais je ne t’oublierai

 

Sur une rive familière

tu as laissé ma main

j’ai glissé vers demain

et le muguet éclot

je vis notre aujourd’hui

 

Il y a longtemps que je t’aime,

Jamais je ne t’oublierai.

 

 

© Texte : Denis Morin, 2013

Je t’écris

Je t’écris pour te livrer

Ce qui m’est arrivé

Mes souvenirs comme nos pas emmêlés

Dans la neige blanche de janvier

 

Tu ne sais plus me regarder

Mon ami, mon frère

Mon ennemi, mon frère

 

J’étais l’aîné, le plus grand

Et toi le p’tit dernier

Mais au fond, tu étais le plus doué

Pour affronter la vie et ses démêlés

 

Entre nous deux, j’ai toujours su

Qui serait le gagnant

Je t’accorde raison une fois de plus

Sois fier de tes entêtements

 

Tu ne sais plus me regarder

Mon ami, mon frère

Mon ennemi, mon frère

 

Je t’écris pour te livrer

Ce qui vient d’arriver

Bientôt je verrai nos ancêtres

Tu parleras en bien de moi peut-être

 

Tu sauras bien me pardonner

Mon ami, mon frère

Mon ennemi, mon frère.

 

© Texte : Denis Morin, 2 octobre 2013, Deux-Montagnes