Les billes

Les billes

Billes qui brillent

Scintillent

Dans la lumière d’août

Réminiscences de l’enfance

On entrait

Dans le jeu

Nos yeux brillaient

Tout autant

Quand nous les tenions

Au creux de la main

Ou quand nous les lancions

Les unes contre les autres

On aurait dit

Des parcelles

D’étoiles

Une constellation

Roulant par terre

Puis nous nous les échangions

À la prochaine joute

On convoitait les billes du voisin

En fait, on se les partageait

Joie des uns et des autres.

 

© Photo, texte, Denis Morin, 2019

À tour de rôle

Métro Laurier

S’étaient assis

À tour de rôle

Sur ce siège en bois

Contre la paroi

De granit

Des corps

Des ombres

Anthracites…

Un touriste essoufflé

Un SDF

Autrefois assuré

Tous risques

Une femme ravie

Par les derniers beaux jours

De l’été

Elle venait de quitter

Au salon de thé

Un jeune amant

Rue Saint-Denis

Près de Mont-Royal

Puis elle avait marché

Jusqu’à la rue Laurier

La vie recommence

Comme les rondes

En boucle

Du métro azur.

 

© Photo, texte, Denis Morin, 2019

La main gantée

Doigts-arbre

En contemplant cet arbre,

J’y ai vu une main

Et des doigts larges

Comme des troncs d’arbre,

Singulière métaphore

 

Là, une paume ouverte

Soutenant

Avec un effort titanesque

Le temps qui passe

Et qui fissure

Tôt ou tard

Les fibres de notre être

 

L’écorce

Rugueuse

Se glisse

Sur le bois

À la manière

D’un gant

Muni d’écailles

Pas de torture

Pour concevoir

Une telle pièce

De vêtement.

 

© Photo, texte, Denis Morin, 2019

 

 

Ici et là

Au Café Cherrier

Au Café de Flore

Elle texte

Prétexte

Aux aveux

Une maille au bas droit

Un bleu au cœur,

À gauche

 

Rêves de midinette

Starlette

Télé-réalité

Hors studio

Pour qui et pourquoi

Se veut-elle

Si belle

 

Aux yeux,

Croissante nébulosité

Atmosphère

Elle vient de larguer

La première

Honneur sauvé,

Pense-t-elle,

Scénario prévu au contrat,

Signez ici et là.

 

© Texte, Denis Morin, 2019

 

Tout à la fois

Il te reste

Des projets à venir

Il te reste

Ma signature

Une recette de confiture

À la groseille

Je sais,

Non la vie ne sera plus pareille

Tu feras comme si

Je rentrais

Plus tard

Il te reste

Mon regard

Dans les yeux des enfants,

Surtout le plus grand

Qui me ressemble

Tellement

Il te reste

L’immensité des souvenirs

L’intimité du soupir

Et les fougères que j’ai plantées

Au fond du jardin

Pour t’apaiser,

Te consoler du chagrin

Souris

Je te vois

Mais de la pièce d’à côté

Je ne suis et je ne serai

Jamais loin

Souris

Car je t’aime

Je sais,

C’est d’une banalité

Je suis tout à la fois

Chez toi et dans l’au-delà.

 

© Texte, Denis Morin, 2019

Les chrysanthèmes

Faut-il un requiem

Pour dire je t’aime ?

Pierre tombale

Cymbale

Du vide

Pourrit le corps

Près de l’urne

Le rayon prend la poussière

Sont de mise

Les chrysanthèmes

Me salue(nt)

Ton esprit

Par des bruits,

Des objets cachés

Est-ce déplacé

De parler

Des morts chéris

Comme on vante

Le mérite des vivants ?

En rêve

Tu me visites

J’apprécie

Ce temps surnaturel

Où s’abattent

Les frontières

N’existent que nos essences premières.

 

© Texte, Denis Morin, 2019

Achille

Vélo métro HB

Achille se pète le genou

Se masse le tendon

Lance son chapeau

Remonte ses bretelles

Déchire son foulard

Tellement il en a assez

De faire du surplace

Dites les badauds

Que feriez-vous à sa place ?

Madame la mairesse

Se la joue cigale

Pendant que les cols bleus

Se la jouent fourmis

Achille referme son manteau

Met ses crampons

Le printemps saura bien revenir

Tout comme son vélo

Pris dans un étau de glace…

 

© Photo, texte, Denis Morin, 2019

À découvert

Le poète a retrouvé

L’ouïe

À force d’eau saline

Et sous les mains agiles d’un ostéo

Comme la vue se retrouve

La paupière s’ouvre

Et la lumière

Et les sons

Englobent la matière

 

Le poète a découvert

Que lui inspiration lui vient

Tel un songe en équilibre

(Clin d’oeil ici fait à Anne Hébert)

Lors de déplacements

Puisque la vie est dans le mouvement,

Malgré les bruits ambiants

L’inspiration trouve sa voix / sa voie

Dans le mutisme

Du poète

Concentré,

À l’écoute de cette musique intérieure,

Contemplant de nouveaux paysages,

Seul parmi la foule,

Seul parmi d’autres solitudes,

À découvert.

 

© Texte, Denis Morin, 2019

Bossa spleen

Duras aimait déambuler

Sur les plages de Normandie

Moi, je le ferai en écoutant

Moustaki ou Nougaro

Par un jour de bossa spleen

Comment tant d’autres

 

Félix aimait marcher

Sa terre, fragment d’île

Seul, le nez contre le vent

Avant de s’en retourner

Écrire

 

Éclatez-vous sur Instagram

Je termine mon poétique télégramme

Ce soir, j’écouterai Pierre Lapointe

En buvant ma pinte.

 

© Texte, Denis Morin, 2019

Souffleurs de vers

Lorraine me glisse à l’oreille

« Les poètes sont des souffleurs de vers »

Elle demeure toujours à la fine pointe

Je lui concède raison

Sans l’ombre d’un doute

J’ajouterai sans gêne

« Les poètes sont des souffleurs de rêves »

Naviguant entre grèves

Si familières

Et paysages interstellaires

Leur vision du monde

Vaut la joie de l’écoute

Vous qui n’écrivez

Jamais rien

Soyez au rendez-vous

De nos mots les plus doux

De nos mots les plus fous

Ainsi va la poésie.

 

© Texte, Denis Morin, sauf citation de Lorraine Lapointe, 2018

 

 

 

Dans un carnet

Il n’était pas au rendez-vous

Fixé depuis deux semaines

Quelle déveine

On esquisse des pieds et des mains

Dans un carnet

On semble fol

On dessine aussi une clef de sol

Inquiet

Deuxième lapin

Posé, je me résigne

Raté le ciné,

L’exposition au musée

Je serais mieux chez moi

Écoutant Barbara

À m’occuper de mes bouquets

À écrire sur les femmes dans l’art

Qu’à espérer

Un appel d’un abonné absent

Qui n’en vaut plus la peine

Désintérêt

« Garçon, l’addition

S’il vous plaît ! »

 

© Texte, Denis Morin, 2018

Le poète

Il manie

Le stylo et la souris

Pas vraiment la hache

Le couteau

Seuls les mots peuvent

Avoir du mordant,

Un côté incisif

 

En règle générale

Le poète préfère

Les livres

Les vers et la prose qui le rendent ivre

Par tant de beauté partagée

 

Par essence

Le poète écrit

Mais il lui arrive

De déclamer

Mais il lui arrive

De se taire

Selon si on souhaite l’entendre

Ou faire fi de sa compagnie

 

Il est en quête…

Sentiments, choses et mystères

Qui le tourmentent au travail

Qui l’éveillent la nuit

Lui font sortir un calepin,

Amas végétal recyclé, ligné

Anodin

 

À tout prix, il lui faut

Écrire une image

Tout droit, de biais, en marge

Faute de papier,

Au creux de sa main.

 

© Texte, Denis Morin, 2018

Sans aucune rancune

Elle me disait

Têtu, obstiné

Trop dans le mental

Trop dans l’ego

Elle me prodiguait

Des conseils sur les arts et la vie

Par je ne sais trop quel hasard

Ces conseils, elle ne se les appliquait

Pas à elle-même

Je la trouvais talentueuse, brillante

Comme une lanterne sous le boisseau

Flemmarde

Intuitive

Un brin vaniteuse

Elle jouait trop peu du clavier

De l’ordinateur et du piano

Les mots et les notes

Toujours remis à demain

Selon elle, je la méprisais

Pour ma part, ce n’était pas le cas

Je voulais secouer son immobilisme

Avant qu’il ne fût trop tard

Elle en eut marre

Que je lui rappelle

Le fait que n’écrire

Juste par temps inspirés

Par le Ciel ou autres bonnes ondées

Sur le moment, on est bien

Ancré dans le présent

Mais cela ne mène à rien

Sinon qu’à des regrets

De passer à côté de ses talents

Le sablier et l’hiver poussent sur les feuilles

Rageurs, nous nous sommes bloqués

Ici et là, tant dans le réel que sur les réseaux virtuels

Bon vent !

Que la Vie soit sa muse

Je m’en retourne

Justement à mon secrétaire

Mon clavier me tient meilleure compagnie

Tout ceci est écrit sans aucune rancune.

 

Cœur de bitume

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Cœur de bitume

Masqueras-tu les fissures,

Les blessures

Laissées par le gel

Et l’usure ?

 

Cœur-enclume

Écrira-t-on sur ton dos

Des mots doux

Au lieu de marteler des mots amers

Comme venin ?

 

Cœur de bitume

Engloutiras-tu le sablier

Qui incite à la fuite ?

Les passants vont et viennent

Certains séchant leurs larmes.

 

© photo et texte, Denis Morin, 2018

Juste l’heure

Je me mire

dans la glace

Le passé me suit

à la trace

L’ombre de mon père

me terrasse

Plus je vieillis

plus je lui ressemble,

il me semble

C’est écrit dans le ciel

Inscription dans les gênes

impression irréelle

Les ancêtres se bousculent

dans ma tête

et je me sens ridicule

Nu, je taille ma barbe

replace mes cheveux

en broussaille mes aveux

Contemple les poils

devenus gris,

devenus blancs

Les rides, mes lignes de vie

Me donnent juste l’heure

et le temps qu’il fait

Je m’habille

Je me mire,

au travers mon visage

je salue mon père,

Puis monte dans un taxi.

 

© Texte, Denis Morin, 2018